Pourquoi certains œufs coûtent-ils quatre fois plus cher que d’autres, alors qu’ils semblent identiques ? Pourquoi les prestataires intellectuels sont-ils tous payés à peu près le même prix, peu importe leur talent ? Cet article explore le piège stratégique du « Cost+ » et montre comment baser ses prix sur la valeur perçue peut transformer votre modèle économique.
De l’élevage intensif aux prestations intellectuelles : prix « Cost+ » ou prix à la Valeur ?
Si vous vous êtes déjà demandé pourquoi le prix des œufs en supermarché peut varier de 7 à 8 fois, dans le même point de vente, vous avez peut-être entrevu une vérité essentielle sur la fixation des prix. Dans le rayon, vous trouvez des œufs d’élevage en batterie à 0,10 € par unité et d’autres, issus de poules élevées en plein air et nourries naturellement, vendus à 0,78 € par unité. Pourtant, ces produits répondent tous au même besoin de base : fournir des œufs. Et ils sont tous produits essentiellement de la même façon : des poules les ont pondus. Ce qui justifie une telle différence ? La valeur perçue par le consommateur.
À l’inverse, observez un autre domaine : les entreprises industrielles ou les prestataires intellectuels (comme les consultants) vendent souvent à des tarifs très proches de leurs concurrents. Dans ces secteurs, la pratique du « Cost+ » – c’est-à-dire déterminer son prix en ajoutant une marge aux coûts de production – domine. Pourtant, cette approche est stratégiquement destructrice et économiquement sous-optimale, comme je l’ai déjà souligné dans mon livre La Stratégie du Vide.
Le piège du « Cost+ » : produire au lieu de vendre de la valeur
La méthode « Cost+ » repose sur une illusion : si je maîtrise mes coûts, j’assure ma rentabilité. En réalité, cette approche revient à se positionner comme un sous-traitant : l’entreprise ne vend pas une valeur différenciante, mais une simple capacité de production. Elle se place comme un fournisseur interchangeable, souvent en compétition directe sur les prix avec des concurrents identiques.
Dans ce modèle, le prix n’est pas construit à partir de ce que le client est prêt à payer en fonction de la valeur perçue, mais uniquement en fonction des coûts internes. On oublie que ce n’est pas la production qui crée la valeur, mais bien la perception que le client a de cette valeur.
Revenons aux œufs. Pourquoi certains consommateurs paient-ils trois, quatre ou jusqu’à huit fois plus cher ? Parce qu’ils perçoivent une valeur ajoutée : bien-être animal, qualité nutritionnelle, pratiques responsables… Ce différentiel n’est pas justifié par les coûts de production, mais par l’histoire qu’on raconte au client, au surplus de valeur spécifique et différenciée qu’on lui délivre, et à leur résonance émotionnelle et rationnelle.
Le cas particulier du TJM : prestation intellectuelle et mépris de la valeur
Le Taux Journalier Moyen (TJM) utilisé dans les prestations intellectuelles (conseil, informatique, expertise…) est un exemple frappant. Ici, peu importe que la prestation soit brillante ou médiocre : les tarifs restent majoritairement très alignés entre les concurrents. Pourquoi ? Parce que les entreprises clientes – en particulier les grands groupes et le secteur public – ne rémunèrent pas l’efficacité ou la qualité, mais plutôt une logique caricaturale des coûts et de productivité.
En d’autres termes, le prestataire est perçu comme un collaborateur temporaire sans critères de performance. Il devient un « corps » qui remplit une case, payé comme un interne, mais avec un contrat extérieur. Cette logique, fréquente dans les grands groupes français et les marchés publics, est totalement inefficace pour valoriser le savoir-faire et la différenciation.
L’importance de choisir ses marchés
Si vous êtes une PME française, évitez de tomber dans ce piège. Chercher à vendre à de grands comptes ou au secteur public, où les services achats normalisent les prix sans relier le coût à la valeur réelle, peut vous condamner à une guerre de prix, mais surtout petit à petit à une impasse économique, et donc stratégique.
À l’inverse, privilégiez les marchés où le client final (PME, particuliers, marchés étrangers) perçoit directement la valeur que vous apportez. Un artisan peut mieux valoriser ses prestations auprès d’un client final qu’auprès d’un donneur d’ordres d’un grand groupe. Un consultant peut proposer une offre sur mesure à une PME française, où la différenciation sera reconnue et valorisée.
Conclusion : vendre de la valeur, pas des heures ou des coûts
En définitive, que vous vendiez des œufs, des prestations industrielles ou des expertises intellectuelles, le prix ne devrait jamais être calculé en ajoutant simplement une marge à vos coûts. Il doit refléter la valeur perçue par votre client. Or cette valeur n’est pas uniquement rationnelle ; elle est aussi émotionnelle, liée à la perception de qualité, de fiabilité, d’éthique, etc… Mais surtout, cette valeur n’est pas directement reliée au temps passé sur le projet du client.
Votre stratégie de prix doit donc se concentrer sur ce qui différencie votre offre et sur la manière dont cette différenciation est perçue par le client.
Pour aller plus loin sur ce sujet, je recommande la lecture de l’article de Harvard Business Review : « A Quick Guide to Value-Based Pricing« , qui offre une excellente introduction aux stratégies de tarification basées sur la valeur.